10/01/2012

Vendre la peur

C'est un très gros 30% qui orne la Une de Libération dans son édition d'hier lundi. Avec ce titre :
"30% n'exclueraient pas de voter Le Pen".
Ce titre (bancal quant à la langue : 30% de quoi?), à lui seul, illustre les plaies dont souffre le journalisme actuel. D'une part, ce n'est pas un événement qui fait l'actualité, mais un sondage. Précisons que les sondages se commandent et s'achètent et qu'il convient donc de les rentabiliser. Si vous payez un sondage que vous ne médiatisez pas, c'est que vous êtes Président de la République, Premier ministre ou responsable politique.
Regardons de plus près ce fameux sondage et observons qu'en réalité, sur ces 30% de votants potentiels pour le FN, 12% déclarent qu'ils ne voteront
"probablement pas pour Le Pen".
Le "probablement" est important. Il signifierait, selon Libé, que du coup, ce n'est pas sûr et que donc, tour de passe-passe, ces 12% là sont à ranger parmi ceux qui "n'exclueraient pas de voter Le Pen". Sans ces 12%, le socre serait comme il est peu ou prou indiqué dans tous les sondages de 18%. Et payer un sondage pour apprendre ce qu'on sait déjà : pas terrible.
L'autre plaie, c'est qu'un journal aujourd'hui cherche d'abord à vendre plutôt qu'à informer. "18% des votants n'excluent pas de le faire pour Le Pen" n'est pas un titre vendeur (mais plus juste et plus respectueux syntaxiquement). 30%, ça a plus de gueule. Quitte à jouer un peu sur la réalité…
Enfin, l'esprit conservateur de la presse dans sa majorité impose que les Français votent soit pour Sarkozy, soit pour Hollande. Un éparpillement des voix serait un mauvais coup porté aux échanges commerciaux (l'inquiétude, l'incertitude quant à l'avenir, le changement, le flou : autant de facteurs anxiogènes capables de freiner la consommation, donc la pub dont les journaux se nourrissent - 50 à 55% des ressources de la presse quotidienne nationale). D'où le désir de jouer sur la peur d'un second tour dans lequel se retrouverait Marine Le Pen. D'où la volonté d'installer dans l'esprit des lecteurs la nécessité du vote utile dès le premier tour. Et hop ! en passant de 18 à 30% on fait d'une pierre trois coups : on fait un gros titre, on vend du papier, on incite à voter utile.
Mais la première conséquence de ce genre de pratiques journalistiques, c'est que, précisément, les lecteurs se détournent de la presse traditionnelle qui les prend quand même un peu pour des cons. Ce qu'ils ne sont pas.
À vous lire…

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